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Nadège Grebmeier Forget, Luster (moodboard), 2022. Courtoisie de l’artiste.

pour ce qui brille, minutie / for that which shines, minutiae

Nadège Grebmeier Forget

Exposition

Exposition résultant du programme Autorésidences.

Autorésidences est un programme de résidences à distance initié par AXENÉO7 dans le contexte exceptionnel de la pandémie afin de continuer à soutenir la recherche et le développement des pratiques en art actuel.

Dans son exposition individuelle pour ce qui brille, minutie / for that which shines, minutiae, présentée à AXENÉO7, Nadège Grebmeier Forget montre la matérialisation de ses gestes performatifs menant à une production massive d’images. Il s’agit de reproductions photographiques aux dimensions d’affiches publicitaires positionnées à même le sol. Les images deviennent des surfaces d’exécution et d’exhibition pour d’autres réalisations utilisant les logiques d’accumulation et de détournement. Les dispositifs sont supportés par des piles de revues et surplombés d’éléments propres à l’iconographie de l’artiste. La mise en place des œuvres à l’horizontale accentue le désir de rapprochement, diminuant l’écart physique entre les visiteur.euse.s et celles-ci. 

L’espace de la salle Jean-Pierre Latour est habité par l’absence de Nadège Grebmeier Forget, entre l’être et le paraître. Les immenses parois fenestrées de la salle, partiellement tapissées d’une pellicule rose semi-opaque, sont chamarrées de maquillage. Cette façade miroitante sur laquelle les empreintes de doigts s’accumulent devient un écran qui met en évidence une tension entre l’intériorité et l’extériorité. Cette démultiplication visuelle réfère à des performances ultérieures exécutées par l’artiste devant des miroirs. En tant que visiteur.euse.s, nous nous regardons à travers l’incarnation de ses gestes, dans une porosité simulée qui rappelle le corps de l’artiste. Le langage métaphorique des propositions façonnées ou performées — chorégraphiées —, la disproportion des actions appliquées ou éclatées, puis l’évocation de la proximité s’expriment dans chacune des œuvres. 

Diverses ondes de choc émanent des plus récentes productions de Grebmeier Forget, réalisées de 2020 à 2022 pendant le programme des Autorésidences, initiative pandémique d’AXENÉO7. Essentiellement picturales, les propositions inspirées de ses précédents projets transgressent les idées reçues de la beauté canonique et de la féminité, fondamentales à sa pratique performative — et d’autoreprésentation. Celles-ci mettent en évidence les déséquilibres malsains de l’objectification et de la surreprésentation instrumentalisée des femmes dans les médias ainsi que les préjugés qui y sont associés. L’artiste utilise comme canevas des pages de magazines de mode qu’elle accumule de façon quasi obsessionnelle. Après avoir sélectionné des images, elle les manipule ou les numérise, pour ensuite les imprimer. Celles-ci sont considérées par l’artiste comme des ready-made : pixélisés, non-traités et non-recadrés. Grebmeier Forget défigure à outrance les modèles choisis et reproduits en effaçant leurs traits avec du dissolvant. Subséquemment, elle enduit sur les visages dégrimés des couches de maquillage appliquées impétueusement avec les doigts pour en faire des anatomies déformées, sortes de parcelles charnelles bigarrées, biscornues. Les visages des modèles deviennent des tableaux à (re)peindre — à (re)maquiller. Cette imagerie de formes qui s’entrecroisent et se superposent en des corporalités tant accablantes qu’attirantes est rémanente. Les interventions incarnées par des référents visuels imprègnent les images de tensions et de sensations. Évocations de son corps. La présence corporelle scintillante de l’artiste est pleinement ressentie dans ce corpus matériel. 

Depuis plus d’une décennie, Nadège Grebmeier Forget propose une (in)occupation performative par sa présence (in)directe résultant d’une surreprésentation et de la surconsommation de son image, sans économie d’une attention portée sur elle-même. Son corps, montré en fragments dans l’accès lors d’(in)actions performatives, est mis en circulation de façon contrôlée à travers des contextes spécifiques comme sur Internet (au moyen des réseaux sociaux nommément) via des live streams. Sa matière, son corps parcellaire, s’entrechoque à des images usurpées de magazines de mode, à des clichés de célébrités iconiques ou à des autoportraits à la camgirl issus de ses archives personnelles. Lors de ces interventions live relevant de la chorégraphie, au son de tonalités burlesquotechno, l’artiste dé-re-joue avec exagération la perception de sa propre image. Adolescente indisciplinée et femme assumée à la fois, elle nous stimule par l’intensité de ses actions tant dans l’immédiateté de ses performances publiques que dans l’inaccessibilité de sa caméra, et nous transporte dans une réalité autre à la brutalité insoupçonnée. Elle se met délibérément en scène — à nu — devant les spectateur.ice.s ou les internautes. Intimité publique. Vie privée écranique. Elle brille face à nous. Elle nous enjôle par l’interface de sa personnalité, nous anime par l’impulsivité de sa gestuelle. Notre attention est portée sur elle. L’artiste désinvolte se métamorphose devant nous — en direct ou en différé. Notre regard reste captivé dans l’instantanéité de sa corporalité saisissante. Grebmeier Forget se dévoile dans une accumulation d’inspirations, entre hommage et outrage. 

La pratique de Nadège Grebmeier Forget est traversée de considérations véritables référant notamment aux premières manifestations du Body Art et du Feminist Art, vers la fin des années 1960, où le corps des femmes est vecteur de gestes contestataires. Marquée par une féminité assumée et des prises de position — émancipation, revendication, subversion, séduction et tentation — à l’encontre de l’oppression sexiste inhérente à une société patriarcale, Grebmeier Forget utilise les principes de la résistance féministe. Ses actions percutantes et provocantes mettent en accusation les discours d’idéalisation qui participent au mépris et à la dégradation des femmes. Elle se sert ainsi de son corps en puissance, et repousse les limites physiques de celui-ci. Les historicités et les temporalités s’imbriquent afin de dénoncer des systèmes coercitifs, des archétypes et des stéréotypes de beauté, et des généralisations sexualisées. 

pour ce qui brille, minutie / for that which shines, minutiae sollicite des sensations persistantes qui animent et stimulent le regard et le ressenti. Par cette proposition dans laquelle le corps féminin est (re)signifié en de nouveaux canons, Nadège Grebmeier Forget laisse des marques sensibles d’une conscience saisissante d’une histoire des femmes, de sa propre histoire.

— Jean-Michel Quirion

Nadège Grebmeier Forget évolue dans le milieu de l'art actuel en tant qu'artiste interdisciplinaire, coordonnatrice de projets, conseillère en création et directrice artistique. Mieux connue pour ses performances de longue durée, en direct et en privé, elle construit au fil des projets une réflexion critique sur ce médium en interrogeant ses dispositifs de présentation, les enjeux de sa documentation et le potentiel de sa médiation. Son travail puise dans le vocabulaire des féminismes, son propre corps et sa psyché personnelle agissant comme médiums d’observation, de recherche et de transformation. Elle a pris part à de nombreux événements, festivals, conférences et résidences aussi bien au Canada qu'en Europe et aux Etats-Unis. Ses œuvres les plus récentes ont été présentées à Bradley Ertaskiran, Projet Casa et Fonderie Darling, Montréal (2020), Critical Distance, Toronto (2018), Astérides — Friche la Belle de Mai, Marseille, France (2016), She Works Flexible — Flex Space, Houston (2016), VU PHOTO/Mois Multi, Ville de Québec (2016). Des écrits sur son travail ont été publiés dans les actes de colloques La performance : Un espace de visibilité pour les femmes artistes ? d’AWARE: Archives of Women Artists, Research and Exhibitions (Paris), le journal scientifique Recherches féministes, la publication en ligne MOMUS et les revues Vie des arts, Spirale, esse arts + opinions et ELLE Québec*. Elle est la première artiste de performance à recevoir le Prix Pierre-Ayot de la Ville de Montréal (2019), décerné en partenariat avec l’Association des galeries d’art contemporain (AGAC).

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